La Petite Interview de Vivien a eu lieu sur le stand virtuel des Courants Alternatifs à la CyberConv le vendredi 3 avril 2020.

Eugénie : Hello à tous et à toutes, on va commencer la Petite Interview n°1 avec Vivien Féasson. Je vous propose de me laisser dérouler quelques questions générales dans un premier temps, pour que tout le monde puisse découvrir les jeux de Vivien ; et puis je vous donne la parole ensuite pour que vous lui posiez vos questions directement. Les plus naïves sont les bienvenues, les plus spécialisées hardcore aussi.

Salut Vivien, est-ce que tu peux te présenter pour les personnes qui ne te connaîtraient pas ?

Vivien Feasson : Hello tout le monde, Vivien Féasson donc, aka Mangelune sur certains forums. Traducteur de l’anglais sur la gamme de l’Appel de Cthulhu (et d’autres choses), j’ai fait mes premières armes d’écriture sur Agone (le fameux supplément jamais sorti) avant de mettre ça de côté longtemps.

Et puis, après en avoir eu marre d’essayer de percer dans un certain milieu cinématographique, j’ai décidé de surfer sur la vague d’auto-publications/rançons en écrivant un jeu : les Errants d’Ukiyo. On a eu des soucis, puis un éditeur l’a repris, bref ça a été ma première vraie sortie «  » » » »pro » » » » ».

Un peu plus tard, j’ai vraiment découvert/compris/adopté l’indépendance en écoutant les podcasts de la Cellule que je bouffais un maximum.

La rencontre avec Fabien Hildwein notamment, qui a monté un groupe de création de jdr indépendants, m’a permis de me lancer à mon tour avec Perdus sous la pluie. « Publié » sur Amazon via leur plateforme d’impression à la demande.

Quelques essais sans publication plus tard, j’ai décidé de passer à la « vitesse supérieure », et je me suis associé à Sycko dans le cadre du label de L’homme orchestre, pour sortir Libreté.

Libreté se déroule dans le même univers que Perdus sous la pluie, mais revient vers un jeu plus « typique » au sens où je reviens vers du jeu avec MJ, en (petite) campagne, avec création de persos… Même si on est dans une forme héritée d’Apocalypse World – création d’univers en commun, plus grande liberté pour les joueurs, cadrage plus serré des règles… bref, un truc à mi-chemin entre le traditionnel et le jeu dit « forgéen » (pour pas utiliser un mot comme moderne).

Cette année, j’ai sorti un supplément « spin off » pour Libreté, De Bile et d’Acier – même règles, mais cette fois on joue des pilotes adolescents dans le plus pur style Evangelion.

Et là je prépare Exploirateurs de bruines, après avoir adopté (comme beaucoup) le style Old School Renaissance de la force – même univers, exploration de ruines dangereuses, mise en avant de l’ingéniosité des joueurs et joueuses plutôt que les seules règles.

Eugénie : Top ! Tous tes jeux se passent dans ce qu’on a appelé a posteriori le « Rainyverse », est-ce que tu peux nous en dire un mot ?

Vivien Feasson : Yep, alors le Rainyverse (trouvé par l’auguste Steve J, et dans lequel on a aussi Comme des larmes sous la pluie, un jeu créé pendant le Game Chef 201quelquechose) c’est un univers très très peu défini au départ.

Dans Perdus sous la pluie, l’idée c’était vraiment un monde très plastique, flou, spectral, pour permettre la création collaborative et l’explication super rapide des règles : « Vous êtes des gosses, vous êtes perdus un soir de pluie, quittant le monde des adultes, et êtes entrés dans la Ville où des flaques naissent des sirènes avides de chair enfantine »

« Les sirènes sont polymorphes, lâches, et s’insinuent dans votre sueur froide pour vous faire quitter le groupe et vous manger ».

[réactions d’effroi dans le public]

L’univers à ce moment là était très influencé par des univers comme Silent Hill, et clairement par un jeu dont je n’avais vu que la BA – je crois qu’il s’appelait Rain ?

Je sais plus trop pourquoi, Libreté est apparu à un moment – l’univers restait alors très succinct, un endroit où les gosses se rassemblaient

En creusant un peu, et sous l’influence de l’idée de la bile noire, est née la pourriture, et les règles de l’univers ont commencé à se renforcer. Avec l’apparition de sirènes se nourrissant d’émotions par exemple, et de sirènes « géantes ». Et d’enfants devenus des monstres. Voire de sirènes ne sachant pas qu’elles sont des monstres.

Exploirateurs, par sa nature OSR « matérielle », demande d’aller encore plus loin. Devoir créer des ruines, des « scénarios », pousse à figer davantage l’univers, me contraignant à un exercice rétrospectif – comment assurer la cohérence de trucs inventés parfois à l’arrache ? (d’ailleurs De Bile et d’Acier poussait déjà par là)

En gros.

Eugénie : Ok. Pour les personnes qui découvriraient les jeux :

  • dans Perdus sous la pluie on joue des enfants perdus seuls dans la Ville, qui vont se faire attraper un par un par les sirènes de l’averse ;
  • dans Libreté on joue des enfants un peu plus vieux, plutôt des pré-ados qui se sont rassemblés dans une cité où ils imitent les organisations des adultes (avec beaucoup de drama, lié au relations entre enfants)
  • dans De Bile et D’acier on joue des adolescents qui sont envoyés dans des robots géants combattre les sirènes qui ont déboulé dans notre monde ;
  • et dans Exploirateurs des bruines, on joue des enfants de Libreté qui sont partis piller des vieilles maisons ou des ruines pour ramener des trucs utiles à la cité.

La plupart de tes jeux tournent autour d’émotions fortes mais sombres (la cruauté entre enfants, la peur de l’abandon, la frousse, l’angoisse, la honte…). Dans Libreté, tu as symbolisé ces émotions avec la « bile noire ». Une personne du public voulait te demander de nous en parler : tu peux nous dire d’où t’es venue cette idée ?

Vivien Feasson : Alors pour le coup, la base de la bile noire m’a semblée évidente – on va dire que ça fait partie de ma façon de voir le monde ? Ou de voir mon rapport au monde ? C’est l’idée qu’on encaisse les choses, qu’on accepte pas mal de problèmes, de stress, de mauvaises réflexions, et qu’on garde les choses – sinon on passerait son temps à se crier dessus. Sauf qu’à un moment, si on y prend pas garde, ça devient trop difficile à gérer, et ça finit par exploser.

Dès les premiers essais de Libreté, il y avait cette idée, le reste en a découlé – en faire une énergie qu’il faut investir dans l’action pour s’en débarrasser, ou bien la garder de force en dedans jusqu’à ce qu’elle sédimente et nous bouffe de l’intérieur. Et le principe des réussite excessives, qui est une corruption du système Non/Oui mais/Oui d’Apocalypse World, et qui ne pouvait fonctionner si on se disait que c’était de la rage qu’on investissait.

Le plus dur, c’était bien sûr d’articuler l’aspect « naturel » de cette réflexion, et les contraintes d’un système jouable et pas trop complexe. Au départ, j’étais d’ailleurs parti vers quelque chose de très systémique (bagage Cellule et The Forge oblige), avec peu d’agentivité de la part des joueurs.

Sans doute que l’influence du groupe que je fréquentais alors, qui était beaucoup plus libertaire dans son approche, m’a poussé à casser la chaîne mécanique… (mais quel était ce groupe me direz-vous ?)

Eugénie : [pour rappel, dans Libreté, on pioche des jetons de Bile noire quand notre personnage est en bad, et on peut investir ces jetons pour booster un jet de dés… mais attention, on peut se mordre les doigts d’un trop bon résultat]

Vivien Feasson : Du coup effectivement sous influence de E et de sa bande, le système a fini par laisser beaucoup plus de libertés aux joueurs, de leur faire confiance. Et à vrai dire, le jeu peut souffrir parfois de n’avoir pas totalement franchi le pas et d’être entre deux mondes. (même si ça marche hein, mais généralement les joueurs ont envie de sombrer dans le drame plutôt que de voir leur personnage ne pas réussir à craquer).

Eugénie : Est-ce que tu peux citer un retour de joueur ou joueuse qui t’a marqué ?

Vivien Feasson : Ouch tu fais appel à ma désastreuse mémoire.

Je me souviens de Julien P. (je lui laisse son anonymat) qui avait parlé de l’évolution de son personnage de princesse égoïste évoluant progressivement vers quelque chose à la limite de la meneuse.

Il y avait aussi quelqu’un qui utilisait le jeu avec des adolescents en difficulté, ce que je trouve complètement fou (heureusement c’est un pro, je ne le ferais pas moi-même).

Après dans l’ensemble les retours sont souvent très agréables, et les quelques parties que j’ai pu faire super plaisantes, que ce soit à la bibliothèque Louise Michel, ou à la Gauntlet Con (l’équivalent Us de la Cyberconv :))

Eugénie : Oh et il y a votre campagne de De Bile et D’acier chez 2d6PlusCool !

Vivien Feasson : Ouiii c’était génial ! Les 2 dernières parties sont ouf !

Eugénie : à écouter absolument !

Vivien Feasson : J’ai beaucoup appris sur la maîtrise de mon jeu dans cette mini-campagne en 4 séances.

Eugénie : Et est-ce que tu as d’autres projets à venir ?

Vivien Feasson : Alors déjà je peux enfin montrer des images d’Exploirateurs, Willy ayant donné son accord. (par contre, work in progress encore, même si c’est bien avancé)

[cris étouffés dans le public]

Eugénie : La classe ! (j’aime beaucoup)

Vivien Feasson : Ca donne je pense une bonne idée de ce à quoi ça va ressembler.

Du coup je bosse dessus quand le confinement avec ma fille le permet, c’est quasi terminé, je dois renforcer le « donjon » de fin, et voir si je dois rajouter des choses derrière.

J’ai aussi l’usine de bonbons, un autre donjon, à avancer – tout un mode d’écriture à réapprendre, moi qui avais abandonné ça il y a des années. Et le format pamphlet, 3 volets, me botte énormément, je pense qu’on va faire des mini-donjons sous ce format pour accompagner le jeu, à pas cher du tout.

Après ça, j’ai des projets qui me bottent à fond mais qui sont très compliqués. Je pense que ce qui suivra s’orientera vers ce qu’on appelle le « troup play », où les joueurs peuvent changer de persos à tout moment.

L’un d’eux, nom de code « Photo de classe », s’inspire du dessin animé The Promised Neverland – une sorte d’orphelinat où on sent que quelque chose se trame de pas cool, et où on peut basculer d’un gosse à l’autre. Plein de trucs à régler.

Ce qui est marrant, c’est que les contraintes matérielles influent sur la création, comme souvent : Photo de classe nait de l’idée de commander une seule illustration (une photo de classe) qui sera ensuite découpée en plusieurs portraits.

Eugénie : Mais j’en apprends des trucs dans cette petite interview ! Trop bien !

Vivien Feasson : Ca devait être un supplément pour Libreté, mais je pense que je devrai simplifier encore les règles pour permettre de changer de personnage.

Eugénie : Intriguant-chouette ! 😉 Une dernière question et après on laisse le canal aux passant.e.s qui voudraient papoter (avec toi ou entre elleux). Est-ce que tu peux citer un autre jeu des CA que tu aimes ou qui t’intéresse tout particulièrement ?

Vivien Feasson : Ah ben celui qui me vient immédiatement en tête, c’est Inflorenza de Thomas Munier.

Eugénie : EXCELLENT CHOIX

Vivien Feasson : Parce qu’il a l’univers le plus séduisant, le plus développé, et qu’il permet une grande variabilité dans les parties – ce que beaucoup de nos jeux, Perdus sous la pluie le premier, ne permettent souvent pas. Et Thomas est mon maître à penser en matière d’exploiter un univers par plusieurs angles

Je reste un peu frustré souvent par les jeux courts, j’aime finalement davantage les trucs en campagne un peu moins contraints, où les mécaniques laissent une grande marge de liberté.

Public : Hello, tu peux en dire un peu plus sur Exploirateurs ? Je n’ai pas saisi si le projet était lié à Libreté ou bien si c’était un « stand alone » ?

Vivien Feasson : Stand alone. Le jeu est censé se dérouler dans le « passé » de Libreté (mais bon, la chronologie est en vrac), à une époque où les enclaves sèches se sont multipliées, et sont séparées par des bruines, des zones laissées aux sirènes.

Public : On y joue qui ? A quoi ?

Vivien Feasson : Les Exploirateurs sont les gosses assez fous pour faire le lien entre les enclaves – amener le courrier, porter de la bouffe, mais aussi aller chercher des trésors dans les zones dangereuses. Du coup ils vont d’enclave en enclave, en se voyant offrir le gîte et le couvert, et en échange partagent leurs découvertes, racontent leurs aventures…

Public : Ce sera basé sur les règles de Libreté ?

Vivien Feasson : Alors non, c’est un système maison adapté avec largesse des systèmes types donjons & dragons. On retourne aux origines, mais en utilisant les avancées modernes sur le thème.

Public : Dac. Ce sera accessible à des joueuses qui ne connaissent pas tout le fluff de Libreté ?

Vivien Feasson : En gros l’idée c’est : la plupart du temps, quand un joueur/une joueuse déclare faire quelque chose, son perso réussit. Mais on teste une Résistance pour savoir ce que ça coûte.

Le but est clairement d’être accessible à tous. C’est l’avantage d’un univers assez simple comme celui de Libreté.

Public : Cela donne très envie ! J’ai bien fait de passer au ce stand

Vivien Feasson : Comme c’est conçu, je pense qu’on commencera par des petits bouts d’univers (des bruines, des enclaves) et au fur et à mesure on définira des zones. On est pas du tout dans le jdr encyclopédique. Accessoirement, je vais sans doute ajouter des trucs pas jolis qui ne sont pas des sirènes, comme les spesctres et les grinceux…

Eugénie : En tout cas énorme merci à toi Vivien pour tes réponses !

Vivien Féasson, la Petite Interview