La Petite Interview de Léonard a eu lieu sur le stand virtuel des Courants Alternatifs à la CyberConv le dimanche 5 avril 2020.
Eugénie : Hello à tous et à toutes, on va commencer la petite interview n°5 avec Léonard. Je vous propose de me laisser dérouler quelques questions générales dans un premier temps, pour que tout le monde puisse découvrir le jeu de Léonard ; et puis je vous donne la parole ensuite pour que vous lui posiez vos questions directement. Les plus naïves sont les bienvenues, les plus spécialisées hardcore aussi !
Salut Léonard, est-ce que tu peux te présenter pour des personnes qui ne te connaîtraient pas ?
Léonard: Je m’appelle Léonard Chabert, j’ai 44 ans. Je vis à Aix-en-Provence, et en plus d’être rôliste, je suis maître d’école.
Eugénie : Et côté JDR, est-ce que tu peux nous parler de ton parcours ?
Léonard : Comme beaucoup de rôlistes de ma génération, j’ai découvert D&D dans les années 1980. Très vite, je suis devenu MJ avec Chill. J’ai toujours été plutôt MJ, et pendant longtemps, j’ai peu joué, mais beaucoup écrit mes scénarios, mes univers et mes bouts de règles.
Les jeux qui ont eu le plus d’importance pour moi, tout au long de mon parcours, ont été Simulacres, Ars Magica, BIA, Cthulhu Gumshoe.
Eugénie : Tu viens de publier Pack Horse Library (un jeu formidable), est-ce que tu peux nous le présenter ?
Léonard : Pack Horse Library s’inspire de faits réels : pendant la crise des années 1930, dans le Kentucky, des femmes ont été employées comme bibliothécaires à cheval pour apporter des livres dans les villages, les fermes reculées de cette partie des Appalaches.
Dans le jeu, on joue un groupe de ces bibliothécaires qui part en tournée pour distribuer des livres. Chaque partie représente une journée de tournée dans une vallée, avec ses péripéties et ses rencontres.

Eugénie : Comment tu es tombé sur cette inspiration historique ?
Léonard : A la base, j’adore l’Histoire (j’ai d’ailleurs fait des études dans ce domaine), et en particulier les anecdotes étonnantes, les personnages incroyables et méconnus. Mais cette histoire-là, je crois tout simplement l’avoir découvert dans la rubrique « Le Saviez-Vous ? » de Wikipédia !
Eugénie : Le fait de jouer des femmes dans un contexte historique réaliste, incroyable et méconnu… ça rappelle beaucoup Night Witches (un jeu où on joue des aviatrices sur le front de l’Est, qui luttent contre les nazis avec les moyens du bord). Ce n’est pas un hasard, hein ?
Léonard : Pas du tout, en effet. Pack Horse Library n’aurait jamais vu le jour sans les aviatrices du 588e ! En fait, j’ai découvert Night Witches qui a été une grosse claque pour moi. Et à un moment, l’idée qui me trottait dans la tête d’utiliser les bibliothécaires à cheval en jeu de rôle a percuté l’influence de Night Witches, et paf, j’étais lancé.
On retrouve dans Pack Horse beaucoup d’aspects du système de Night Witches, et donc de l’Apocalypse en général, même si je m’en suis écarté de plus en plus au fur et à mesure de la création.

Eugénie : D’ailleurs c’est un jeu qui peut se jouer avec ou sans MJ. Est-ce que tu peux nous dire comment ça fonctionne ?
Léonard : Chaque partie est séparée en plusieurs chapitre : la préparation (on est à la bibliothèque, on cherche et on répare des livres, on règle des problèmes familiaux…), le voyage vers la vallée à atteindre, les visites (2 ou 3 par partie) et le retour.
Si on joue avec un meneur, il fera jouer tous ces chapitres. Mais le mode privilégié est celui avec MJ tournant : chaque joueur, à tour de rôle, va incarner la Narratrice. Son personnage se met en retrait, et il raconte les événements que vont vivre les autres bibliothécaires.
Les événements peuvent être préparés à l’avance, mais on peut facilement jouer sans préparation, car des tables d’événements sont proposées pour chaque chapitre.
Eugénie : Et la création de personnage comporte le fait de choisir le livre préféré de sa bibliothécaire … mais est-ce qu’on est obligé d’avoir lu Les Quatre filles du Dr March pour y jouer ?
Léonard : Non, pas du tout. En effet, les bibliothécaires sont définies à la base par leur responsabilité au sein du groupe et par leur Inspiration : un livre (de littérature classique anglo-saxonne en général) qui leur donne une vision du monde, des expériences qu’elles cherchent à vivre. Une liste de livres est donnée dans Pack Horse Library, avec leurs « caractéristiques » : De Grandes Espérances, Moby Dick, Jane Eyre… Il y a même une petit résumé, on peut faire croire qu’on a une culture littéraire !
Eugénie : Waouh !
Léonard : A noter quand même que ça peut donner envie de découvrir certains de ces livres. Ma bibliothécaire dans notre campagne en cours a comme Inspiration Tortilla Flat de Steinbeck. Du coup, je l’ai lu, et j’ai adoré.
Public : Bonjour ! Vu la période historique, comment faire en sorte que la partie ne tourne pas qu’autour du sexisme de l’époque ?
Léonard : C’est l’un des aspects du jeu. Mais ce n’est pas toujours déterminant. Les bibliothécaires sont des femmes du cru, elles sont mères de famille, un peu plus lettrées que la moyenne, appréciées par une partie de la population.
Dans beaucoup de familles, elles vont être accueillies courtoisement. Il y a aussi cette espèce de galanterie du Sud qui joue. Mais elles peuvent aussi être mises à l’écart parce que ce sont des femmes qui travaillent, des femmes qui lisent, ou simplement parce qu’elles ne sont pas de la vallée.
Public : J’organise une partie unique dans mon club ce soir, est-ce qu’en 3 ou 4 heures on peut jouer et s’amuser ou faut-il plus de préparation de la part de tous les joueurs avant de se lancer ?
Léonard : En 3-4 heures, c’est souvent suffisant pour créer les personnages (30 minutes) environ et pour faire une partie. Le jeu est assez clé en main, notamment grâce aux tables d’événements. Mais comme le contexte peut être un peu intimidant, j’ai aussi mis dans les annexes (téléchargeables gratuitement sur lulu) des fiches de contextes qui expliquent de façon succinctes certains aspects historiques.
Eugénie : Ah j’allais te demander ce qu’il y a dans ces annexes !
Léonard : Il y a les fiches de personnages (4 différentes, selon la responsabilité de la bibliothécaires), une liste de noms propres, un plan et une liste de lieux du Comté de Pike (la région par défaut où on va jouer), et les fameuses fiches de contexte.

Pubic : Je ne suis pas un lecteur assidu de romans et j’aurais peut-être une appréhension à jouer avec des personnes qui auraient vraiment lu les livres évoqués, est ce que tu as déjà joué dans cette configuration et comment ça marche ?
Léonard : L’aspect littéraire peut être mis en avant, mais ce n’est pas du tout obligatoire. Les bibliothécaires peuvent parler littérature, mais il y a beaucoup d’autres aspects importants, notamment l’aspect social. Et il ne faut pas oublier que ces bibliothécaires sont avant tout des femmes issues d’un milieu populaire, et que les livres qu’elles distribuent sont souvent des illustrés, des contes pour enfants, des magazines…
Public : Est-ce qu’il y a aussi des scènes de la vie quotidienne ? Je regarde quelques épisodes de Dr Queen femme médecin et le quotidien est mis en avant dans cette série. A-t-on la même chose avec ton jeu ?
Léonard : On ne joue pas les périodes entre les tournées, en tout cas dans le mode de jeu prévu. Mais le quotidien des bibliothécaires est régulièrement évoqué, notamment pendant la phase de préparation. Par exemple, parmi les Obstacles (événement) qui peuvent être rencontrés en début de partie, il peut y avoir : ton enfant est malade, il faut que tu trouves quelqu’un pour le garder pendant ton absence ; ton mari ne veut plus que tu ailles passer ta journée sur les routes, etc. Et en règle générale, on vit plus des petites choses de la vie quotidienne que de grandes aventures trépidantes dans Pack Horse Library !
Eugénie : On approche de la fin de l’interview, j’aurais encore deux question à poser. Est-ce que tu peux citer un retour de joueur ou joueuse qui t’a marqué ?
Léonard : Comme ça, j’ai du mal à trouver… Mais il y a un retour d’une amie prof et rôliste avec qui je parlais du jeu qui m’a marqué. Elle m’a dit : « En fait, c’est un jeu service public, quoi ? »
Eugénie : Je m’en souviens !
Léonard : Et c’est vrai que je vois un rapport entre le jeu et mon travail d’enseignant. Le fait d’essayer d’apporter des choses aux gens, souvent pas grand chose, parfois pas ce qu’on attendrait. Et que ce qu’on reçoit en retour est tout aussi important. Le jeu n’est pas destiné à dire : « Regardez, la culture, c’est super, la littérature sauvera le monde ! » Juste : « On fait ce qu’on peut. Des fois ça marche, des fois non. »
Public : Et un jeu de rôle sans combat !!!
Léonard : Tout à fait. Il n’y a pas de système de combat. Juste une action : « s’imposer » qui peut signifier aussi bien se mettre en colère, menacer, que donner un coup de poing.
Eugénie : … »coller la honte »…
Léonard : C’est ça ! Et ça marche souvent mieux qu’un revolver…
Eugénie : Et ma dernière question pour clore cette très chouette interview : est-ce que tu pourrais citer un autre jeu des CA que tu aimes ou qui t’intéresse tout particulièrement ?
Léonard : J’ai acheté récemment Sur les Frontières de Melville. J’aime beaucoup (et les illustrations sont une vraie claque !), mais je n’ai pas encore réussi à y faire jouer. Je vais peut-être profiter du confinement pour y faire jouer ma compagne et mon fils…

J’ai droit à un seul jeu, c’est ça ?
Eugénie : Oui ! Mais si tu en as un 2e que tu veux placer, VAZY ! c’est dimanche on a le droit !
Léonard : Toujours de Melville, j’ai très très envie de découvrir Aux Marches du Pouvoir. Le changement d’échelle par rapport aux autres jeux de rôle m’intéresse beaucoup.

Eugénie : Super chouette ! Merci beaucoup à toi pour cette petite interview !
Léonard : Merci à toi et autres intervenants. C’était ma première interview, et c’était très agréable.