La Petite Interview de Willox / Gaël Sacré a eu lieu sur le stand virtuel des Courants Alternatifs à la 2eCyberConv le vendredi 27 novembre 2020.
Eugénie : Hello à tous et à toutes, on va commencer la petite interview n°1 avec Willox / Gaël Sacré. Je vous propose de me laisser dérouler quelques questions générales dans un premier temps, pour que tout le monde puisse découvrir les jeux de Gaël ; et puis je vous donne la parole ensuite pour que vous lui posiez vos questions directement. Les plus naïves sont les bienvenues, les plus spécialisées hardcore aussi !
Hello, Gaël, est-ce que tu pourrais te présenter pour les personnes qui ne te connaîtraient pas ?
Willox : Yes ! Je suis Gaël Sacré alias Willox, alias aussi Maître-Bois, je suis auteur et traducteur de jeu de rôle. J’officie pas mal dans des communautés rôlistes comme les Courants Alternatifs (tiens tiens!), C’est pas du jdr (coucou Matthieu Bé !) et JdR Solitaire. Je suis aussi orga dans cette folie qu’est la CyberConv. A part ça, je suis surtout un gros geek de films, de séries, de jeux vidéos et de bouquins et puis entre tout ça j’essaie de faire des jeux ! ^^
Eugénie : Top ! est-ce que tu pourrais nous parler de ton parcours rôliste ?
Willox : J’ai toujours baigné dans la culture geek, entre mon amour pour la SF et la fantasy et le surnaturel en général, les RPG en jeux vidéos et les livres dont vous êtes le héros. J’avais tout le background du rôliste mais jamais eu l’occasion de m’y mettre à part quelques tentatives infructueuses avec des potes. C’est bien après que j’ai découvert le JdR dans des associations poitevines (de Poitiers donc). A l’époque j’étais fasciné par le jeu de rôle mais l’approche très traditionnelle qui laissait peu de place à mon propre imaginaire et à mes envies de drama m’ont lassé petit à petit…
… jusqu’à ce que je découvre la scène indé par le biais de Frédéric Sintes. Et là c’est la dégringolade dans les tréfonds obscurs de la jidérie : découverte de la Forge, de jeux comme Polaris de Ben Lehman, de Dogs in the Vineyard de Vincent Baker, les théories de Ron Edwards et j’en passe et des meilleurs. Depuis j’ai officié dans les différentes itérations des forums alternatifs francophones : Silentdrift, puis les Ateliers Imaginaires et maintenant les Courants Alternatifs. J’y ai rencontré plein de rôlistes et d’auteur-ice-s passionnants et des jeux tous plus originaux et profonds les uns que les autres <3
Ah et du coup à un moment, je me suis dit, et pourquoi pas moi ? Et j’essaie de faire des jeux tant bien que mal depuis ^^
Eugénie : Ah-ha ! on y vient… Happy c’est le premier jeu que tu as publié ?
Willox : Oui ! A l’époque déjà je m’embourbais dans des projets de jeux de rôle que je n’arrivais pas à finir, notamment Imaginarium, un jeu inspiré de Narnia et Peter Pan qui est toujours dans les cartons. Je me suis dit : un jeu de rôle ça n’a pas besoin d’être un format énorme, même pas un A5 de 50 pages comme c’était un peu la norme à l’époque des jeux indé francophones. J’avais créé ce jeu de méditation pour ma pomme et j’ai eu envie de le partager. Je l’ai fait testé à 2-3 personnes, dont une sophrologue, qui m’a fait un excellent retour, et je l’ai publié simplement en PDF et impression à la demande. Depuis, l’affluence de formats courts sur itch.io a prouvé que c’était aussi des publications tout à fait légitime en tant qu’auteur-ice.
Eugénie : C’est un jeu solo, ce qui n’est pas la forme la plus courante de JDR… est-ce que tu peux nous dire comment il fonctionne ?
Willox : Quand je l’ai créé, je ne connaissais même pas le jeu de rôle solo. J’ai juste découvert Teen Witch et Brave Sparrow d’Avery Alder, qui sont en quelque sorte des GN solitaires. J’ai trouvé ça génial de se dire qu’on pouvait jouer seul. J’ai repensé à mes errances imaginaires où je me perdais souvent dans mes pensées. Je me suis dit : et si on utilisait la force du jeu de rôle pour canaliser son imaginaire ?
Public : Teen Witch est exceptionnel, vraiment à lire. Je crois que c’est le jeu où j’ai <3 Avery, pour de vrai de vrai.
Willox : Je suis parti de l’idée des méditations guidées, en ajoutant une dimension rôliste. Au lieu de nous dire où nous sommes et ce qu’on fait, c’est nous même qui allons le décider :
- On part d’une inspiration première pour avoir un fil rouge à notre voyage imaginaire, et on choisit un lieu que l’on va explorer
- On crée un personnage ou bien on s’incarne soi-même (ou une vision fantasmée de soi-même)
- On explore le lieu que l’on a choisi, principalement en utilisant les 5 sens, on se concentre sur le moment présent, sur les sensations de son corps imaginaire dans ce lieu imaginaire
Eugénie : Classe ! Et tu a proposé Happy together peu après… à l’inverse de JDR qui prévoient éventuellement une variante pour jouer solo, toi tu prévoies une variante multijoueurs quoi… 🙂 D’ailleurs tu as sorti un cadre récemment pour Happy Together ?
Willox : Oui ! Je sentais qu’il y avait un vrai potentiel pour créer une expérience à plusieurs. Finalement le jeu a pris une tournure assez différente, mais il a gardé l’esprit originel de Happy en solitaire. Dans Happy Together, on se concentre toujours sur l’instant présent, mais le fait de le partager avec d’autres fait qu’une dimension plus douce-amer apparaît, parce qu’on va partager le temps d’une partie un moment heureux de personnages dans leur vie quotidienne. Mais comme la vie quotidienne en vrai c’est pas toujours rose, eh bien, ça ressort quand même par les fissures et ça en devient très émouvant. Si avec Happy en solo on est dans une exploration proche d’un walking simulator en jeu vidéo, avec Happy Together on est plus proche d’une expérience à la Lost in Translation de Sofia Coppola ou de Kiki la petite sorcière de Miyazaki.
Cette année, j’ai sorti un cadre, c’est à dire une proposition particulière pour jouer avec Happy Together. On y joue des IA (intelligences artificielles) et des êtres humains qui partagent du temps ensemble, dans un futur proche où on est à la frontière de la singularité (on ne fait plus trop la différence entre une IA et un humain). C’est venu d’une chouette partie où l’on s’est inspiré de Her de Spike Jonze. Je l’ai réalisé dans le cadre d’une jam (un défi de création) sur itch.io
Eugénie : super chouette ! d’ailleurs Happy Together n’a pas spécialement d’univers ou de cadre préconstruit… c’est un peu le propre de tes jeux, non ?
Willox : Oui, c’est vrai ! Je me suis fait récemment la réflexion que mes jeux ne proposait pas d’univers déjà construit, et ça n’est d’ailleurs pas évident à promouvoir. J’ai eu l’occasion d’en discuter récemment sur un podcast des Voix d’Altaride, que je vous conseille vivement (le podcast en général, pas seulement l’émission ^^).
Eugénie : Et c’est le cas aussi de Saga Héroïque Minima, que tu viens de sortir. Tu peux nous parler de Saga ?
Willox : Saga Héroïque c’est un vieux rêve de rôliste que j’ai de pouvoir faire du Star Wars à ma façon. C’est à dire en se concentrant sur ce qui m’intéresse dans ce type d’histoire : la destinée des héros et héroïnes, leurs motivations, les relations entre les personnages et puis un univers dépaysant et grandiose. Pour ça, il me fallait quelque chose de plus malléable qu’un univers canon déjà existant. En jouant à des jeux comme Lady Blackbird et Before the Spire Falls, je me suis rendu compte qu’on n’avait pas besoin de grand chose pour créer de l’aventure et du drama, et je suis parti de ces deux inspirations pour créer Saga Héroïque.
Dans un premier temps, on crée un Monde qui sera le théâtre de notre histoire, en posant les grandes bases. On peut le créer à l’avance ou bien en collaboration avec les autres joueurs et joueuses. On utilise des mots-clefs pour créer le concept de notre Monde, puis on détermine trois grands Cadres qui serviront à jouer ce Monde durant la partie : le Mythe (la magie ou la technologie mystique), la Menace (les « méchant-es-« ) et les Habitant-e-s.
Dans un deuxième temps, on utilise des Livrets qui sont des archétypes bien connus d’épopées héroïques hollywoodiennes pour créer nos PJs. C’est un peu les squelettes de personnages à la Luke, Leia et Han Solo, mais qu’on peut adapter à plein d’histoires et d’univers différents.
Enfin, on joue notre histoire en jouant chacun son tour son protagoniste héros/héroïne et les péripéties qui surviennent via le Monde et ses Cadres.
Eugénie : j’ai encore quelques questions dans ma musette mais n’hésitez pas à intervenir et en poser directement !
Public : Gaël, tu en est où dans la photo ? et ton projet de lier cette passion au JDR ?
Willox : Je dois avouer que j’ai complètement abandonné la photographie ! Ça devenait vraiment compliqué de mettre en image ce que j’avais en tête, car évidemment la photographie se fait à partir du réel. Quand on est dans le domaine de l’imaginaire, c’est très coûteux à mettre en scène ou bien il faut beaucoup manipuler l’image. Finalement, je trouve beaucoup plus de satisfaction dans la création de jeu de rôle et la photo a disparu de mon quotidien.
Eugénie : Tu fais aussi des traductions de jeux : Sexy Battle Wizzards (très fun), Before the Spire falls (très poétique), et Cozy Town (très… cozy) Comment tu t’es retrouvé à traduire ces jeux ?
Willox : J’ai passé deux années d’errances à essayer de sortir des jeux, en vain. (Enfin, surtout UN jeu qui s’appelle Coven 🙂 ) Fin 2019, grâce à la communauté C’est pas du jdr j’ai voulu aider à traduire des jeux pour qu’ils puissent être disponibles en français. En fait, l’anglophonie produit énormément de jeux, y compris dans la scène alternative. Sauf que beaucoup de ces jeux, qu’on retrouve pas mal sur le site itch.io, ont des formats courts, atypiques, ou des thèmes inhabituels ou difficiles qui ne vont pas intéresser les éditeurs. Et du coup, ces jeux sont inconnus en France et on a envie de les partager pour montrer combien ils sont cool et qu’il faut y jouer ! J’ai commencé par faire des relectures pour d’autres, et puis finalement, comme j’aime aussi faire de la mise en page, j’ai co-traduit, mis en page et édité des jeux ^^
Eugénie : Et tu as même produit du contenu en écho… c’est le cas du cadre Coz’île d’été
Willox : Exactement ! J’ai beaucoup d’admiration pour le travail de Jamila R. Nedjadi, l’auteurice, notamment de Balikbayan (qui m’a inspiré pour Saga Héroïque) et de Cozy Town. En jouant à Cozy Town, j’ai eu envie de faire ma propre version, mon hack, en m’inspirant davantage d’Animal Crossing et en ajoutant des petites choses que j’avais envie de voir dans un jeu comme ça. Contrairement à Cozy Town on peut créer son propre petit personnage et le dessiner. J’encourage aussi dans les différentes activités proposées à créer des mini aventures pour aller plus loin que simplement poser des choses chacun son tour sur la carte. Je me suis aussi beaucoup amusé avec la mise en page, en utilisant des illustrations dignes de livres pour enfant.
Eugénie : Et est-ce que tu peux nous dire un mot sur tes projets ? (même si bon, tu viens de sortir un jeu hier, c’est peut-être un peu tôt pour repartir sur d’autres trucs ? je sais pas…)
Willox : L’année 2020 a été vraiment productive pour moi, et j’ai bien envie de surfer sur cette vague pour 2021 ! Déjà, j’ai envie de faire découvrir Saga Héroïque en proposant des mini-campagnes, ce qui me donnera aussi l’occasion de continuer à travailler sur le jeu pour en sortir une version augmentée. J’ai déjà des règles pour pouvoir jouer en solitaire ou pour jouer avec MJ. J’aimerai proposer des préparations et pourquoi pas inviter d’autres à en créer.
Ensuite, j’ai toujours espoir d’arriver à sortir ce fameux Coven dont je parlais plus haut, qui est un projet qui me tient énormément à coeur mais que je n’arrive pas à concrétiser. On y joue des sorcières dans un univers victorien qui protège le monde d’esprits corrompus. Actuellement je travaille sur une version propulsée par l’apocalypse. On verra bien !
Enfin, j’ai plein d’autres projets dans les cartons, notamment sortir des articles sur le jeu de rôle solitaire, et pourquoi pas même un ou plusieurs jeux ! ^^
Eugénie : Mais on ne t’arrête plus !
Willox : On dirait que tant que je ne travaille pas sur Coven, j’arrive à avancer. C’est certainement mon oeuvre maudite 🙂
Eugénie : Ma dernière question pour cette Petite Interview, elle est dans le thème de la CyberConv : est-ce que tu peux citer une ressource qui t’intéresserait particulièrement si tu devais jouer un voyage ? (un jeu, une mécanique, une inspi hors JDR, un lieu où tu voudrais jouer ça…)
Willox : Quand je pense jeu de rôle et voyage, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est le jeu épistolaire de Morgane Reynier, Sur la route de Chrysopée. On y joue, à deux, un apprenti voyageur et son maître immobile, qui échange des lettres à propos d’un voyage mythique vers Chrysopée, une destination symbolique. L’univers est magnifique, plein de poésie, et en plus il nous invite à utiliser la réalité de notre quotidien pour l’inclure dans la fiction (c’est une forme de réalité augmentée rôliste !). Un must-have si on aime écrire et jouer le voyage.
Eugénie : oooh <3 super chouette, merci à toi Willox ! j’arrête ici le format itw, mais si vous avez des questions, des remarques, n’hésitez pas à rester papoter sur le stand !
Public : une dernière question. Un point régulièrement soulevé est la non connaissance/visibilité des alternatives aux mastodontes du jdr. Ne serait-il pas possible de créer des « compilations » (pourquoi pas thématiques) qui permettraient de rendre les voies alternatives du jdr accessibles aux boutiques et donc à un plus grand nombre de joueurs/joueuses ?
Willox : Oui, c’est certainement une idée ! Le soucis des compilations c’est que ça tendrait à faire penser que les jeux doivent absolument respecter le format des jeux plus traditionnels pour pouvoir se vendre, et mettre plein de jeux différents dans un seul ouvrage, ça me semble un peu dommage, même s’ils partagent des thématiques similaires.
Ce qu’on essaie de faire avec les Courants Alternatifs, c’est de regrouper les auteurs et auteurices pour créer un catalogue commun et ainsi tenter d’avoir autant de poids qu’un éditeur, tout en laissant chacun indépendant de ses créations. Car seul et sans moyens, c’est difficile de promouvoir un jeu, d’autant plus que beaucoup ne font ça que sur leur temps libre et ont un autre travail à côté.
Public : Certes, mais c’est un type de format qui a aidé l’industrie du disque à survivre à une époque… Donc pourquoi ne pas utiliser la méthode (en évitant toutefois de reproduire les mêmes erreurs). Merci pour cette réponse.
Eugénie : Il y a aussi des contraintes matérielles, qu’on peut évoquer… un ouvrage collectif, c’est des auteurices très, très peu payées (sur un ouvrage édité on tourne à 10% du prix pour 1 auteurice, alors diviser 10% de 25 euros entre 7-8 personnes… ça représente rien du tout)
Willox : Merci pour cette interview Eugénie ! <3
Eugénie : Merci à toi pour tes réponses !
Willox : Pour finir en auto-promo, vous pouvez retrouver mes créations et mon blog sur mon site et mes jeux récents sur ma page itch.io !