En y réfléchissant un peu, il me semble qu'on peut aller chercher le validisme (ou plus généralement toute sorte de discours discriminatoire) à trois niveaux dans un jeu ou une partie de jeu de rôle ; pas hyper sûr que cette catégorisation soit ultra pertinente mais autant en discuter :
1 Ce que dit le jeu. Typiquement, comment les règles gèrent le handicap physique ? Pur malus dans des caracs physiques ? Malus compensé par quelque chose d'autre ? Dans tous les cas, ça sent mauvais. Malus pur : les personnes handicapées sont comme les autres, mais en moins bien. Malus compensé : pour être utiles les personnes handicapées doivent compenser pour rentrer dans le rang et avoir une aussi bonne capacité de production que les personnes valides. Il y a un discours très étrange - et certainement involontaire - dans les jeux où tu te mets des handicaps pour avoir le droit à des bonus à côté, ou à l'inverse dans
Into the Odd où les persos craqués se coltinent des handicaps par logique d'équilibrage.
Le problème est un coeur de jeu : les caracs, c'est noter la valeur d'un personnage selon sa capacité de production. Son taux de gobelins tués par jour, quasiment. Je fais d'énormes raccourcis mais j'ai bien envie d'y voir un reflet de société productiviste, qui par essence n'a de place que pour celles et ceux qui s'y conforment.
Il y a quand même de jolies façons de contourner le problème. Dans
Marchebranche, les personnages avec un handicap ont droit à un compagnon, humain ou animal, pour les aider dans la vie de tous les jours. C'est la logique de compensation qui permet au personnage d'avoir autant d'impact sur la fiction que les autres, mais finalement c'est un jeu dans lequel la société s'adapte à la personne handicapée au lie que ce soit l'inverse, au lieu d'augmenter ses attentes, c'est cool comme propos.
2 Ce que les joueuses disent à propos du jeu. Par exemple : j'ai tiré un 5 en Force et 6 en Constitution, j'en conclus que mon personnage est faible et malade. On imagine facilement le terreau que ça fournit aux blagues validistes, notamment autour de la stat d'Intelligence. (Même chose pour le
sexisme et le charisme). Ici ce n'est pas en soit un problème écrit dans le jeu, vu que ça vient des joueuses, mais on pourrait quand même imaginer que ce soit fait plus finement dans le matériau de base, ou qu'une interprétation plus inclusive soit fournie / mentionnée.
3 Les comportements induits par le jeu. Ca rejoint en partie ce qui précède mais pas complètement. Par exemple, si l'OSR valorise le player skill, cela veut dire que les joueuses plus douées pour trouver des solutions sont mises en avant, forcément au détriment des autres. Je me dis que c'est sûrement de ça que tu voulais parler. Je ne sais pas si ça rentre toujours dans le validisme mais c'est vrai que par exemple quelqu'un avec une mauvaise visualisation spatiale, voir quelqu'un de non-voyant typiquement, aurait plus de mal à se connecter à la fiction. De même, peut-être, que la confrontation de joueuses neuro-typiques et neuro-atypiques. Si, comme je le pense, tout un pan de l'OSR consiste à réussir à poser les bonnes questions, et donc à comprendre la façon de penser de la meneuse, alors tout le monde n'est pas égal vis-à-vis de ses moyens.
On peut trouver des effets de ce genre dans tous les JDR (ne serait-ce que la manipulation de matériel, de dés rend beaucoup de jeux difficilement accessibles aux personnes non-voyantes par exemple) mais c'est vrai que le
player skill les met au centre. Il me semble que si c'est effectivement un défaut au coeur, il reste possible de le compenser via de bnnes pratiques - ce qui ne serait même pas sortir de l'OSR, vu que l'on parle de pratiques qu'il est considéré normal de voir varier d'une meneuse à l'autre.
Avant de rentrer là-dedans, un détail que je trouve intéressant : le
player skill c'est quand même à l'inverse quelque chose qui limite le validisme dans les mécaniques elles-mêmes. On peut jouer un personnage cabossé, avec plein d'imperfections, et quand même se débrouiller et avoir beaucoup d'impact sur la fiction en étant malin. En fait, les jets de caracs aléatoires font qu'on n'a presque jamais un personnage sans aspérités, et je lis souvent des témoignages de vieux de la vieille qui insistent sur le fait qu'iels se sont éclaté-e-s à jouer des persos avec des caracs nazes, et qui en bavaient visiblement pour compenser. Mais tout ça est contrebalancé par le fait qu'il n'y a pas vraiment de proposition à jouer des handicaps dans l'OSR, caracs faibles ou pas ; c'est même justement l'absence totale d'interprétation de la part du jeu qui amène les joueuses à en inventer une.
Mais revenons au player skill. Voici quelques idées de pratiques qui pourraient adoucir l'aspect validiste de l'OSR tout en restant player skill :
+ dans Ecorce, pour chaque problème posé à la table, Thomas Munier attend de ses joueuses une réponse originale ou intéressante. Lorsque quelqu'un propose quelque chose, il valide quasi systématiquement. Il n'attend pas une "bonne réponse", il a attend juste une réponse cool. Cela nous dispense d'être malins, ou plutôt, cela étend les armes dont nous pouvons user : astuce, mais aussi créativité.
+ une pratique de table saine peut permettre, sur la durée, de mettre à l'aise les joueuses avec le fait de faire des erreurs. Quand je joue à Pathfinder avec des experts absolus, je me sens moyennement bien parce que plein de décisions que je prend sont critiquées. A l'inverse, on peut chercher à créer du jeu pour les personnes en hésitation, les accompagner, construire sur leurs idées.
+ à ma table, j'évalue la qualité des solutions qu'on me propose et je sanctionne parfois d'un jet de dés celles que je juge mauvaises. Mais j'explique en détail pourquoi les choses sont comme ça, comment je voyais les choses ; je suis ouvert à la négociation, par exemple sur la géographie si on ne s'est pas compris ("ah mais je pensais qu'en me planquant derrière le muret je pourrais toujours tirer sur le garde, sinon je l'aurais pas fait"). Je réfléchis aussi - mais c'est encore en chantier - à trouver le moyen de mieux nous harmoniser en groupe pour s'échanger de meilleures questions. La routine que j'expérimente depuis peu est : à la fin de chaque scène, je révèle aux joueuses la question qu'elles auraient dû poser. Je vais peut-être modifier ça en : révéler une question qu'il aurait été intéressant de poser.
Je ne saurais pas trop conclure si l'OSR est plus validiste que d'autres formes de JDR, mais on peut au minimum dire que le validisme y prend certains aspects particuliers. Et qu'on peut toujours aller à l'encontre ; pour cela, je n'ai pas de meilleure réponse que : partageons nos pratiques, et voyons celles que nous voulons transmettre ! D'ailleurs, je te remercie pour cette question à laquelle je n'avais pas du tout réfléchi, il y avait pas mal de choses à dire au final.