Merci pour ton retour et merci pour le bon mot !Thomas B. a écrit : ↑25 juil. 2017 11:53Bon, je voulais attendre le retour de Conquest of Mythodéa (et la fin de l'écriture de mon article sur GN/jdr et neurosciences) mais vu que ça sort maintenant, j'y vais
En préambule: j'aime beaucoup ce que vous faites. Que ce soit les choix de vie, les jeux, la réflexion sur le jdr: super intéressant, respect, tout ça.
L. J'ai manqué de clarté si j'ai donné l'impression de revoir la définition du bleed. Je répète encore dans l'article que le bleed, "c'est quand les émotions du personnage contaminent celles de la joueuse, et inversement."
Je crois plutôt que notre désaccord porte sur ce que je dis aussi de l'utilisation du bleed dans le jeu de rôle (puisqu'en l'occurence je parle surtout de l'utiliser dans le jeu de rôle moral, alors que tu préfères qu'on en fasse une étude décloisonnée), ou de l'attitude à adopter par rapport au bleed (l'encourager ou le brider selon les cas).
Encore une fois, la confusion vient de la phrase malheureuse : "le bleed, c'est l'immersion morale" que j'ai eu lors de la conférence "S'engager corps et âme dans le jeu de rôle". Je regrette d'avoir fait ce raccourci.
M. Pour l'angle "oui mais c'est pour le jdr", je fais référence à la réflexion de Jérôme Larré, qui en gros, pour ce que je comprends, établit que quand tu étudies une technique ou un effet, les usages de la technique ou l'impact de l'effet sont différents selon le média où tu te situes. La définition de la technique ou de l'effet reste la même, en revanche. Donc mon argument est le suivante : le bleed en jeu de rôle et en GN, c'est la même chose, mais ça sert pas forcément à la même chose. Après, ce que je dis sur le bleed c'est peut-être des conneries, je veux juste m'assurer que cet argument de la spécificité des médias est compréhensible.
Je cite un extrait de la réponse de Jérôme Larré à l'entretien avec Coralie David pour sa thèse sur le jeu de rôle :
Je cite aussi deux disclaimers de Jérôme (reçus par mail) sur la portabilité de cet extrait vers la discussion qui nous intéresse :"De l'intérêt d'une grammaire spécifique
Or si importer la grammaire d'un média plus mûr est un formidable moyen pour commencer à se
développer rapidement, et d'une certaine façon, de grimper sur les épaules de géants , il est nécessaire
d'aller au-delà pour devenir un média à part entière et exploiter son plein potentiel. De plus, cela ne va
pas sans créer de problèmes. Parfois, il ne s'agit que de faire de petites adaptations, comme prendre en
compte que le JdR est plus efficace sur des histoires de groupes que sur celle d'un héros solitaire, là où
nombre d'autres médias s'attachent plus volontiers à un protagoniste unique. Parfois, cela peut amener
à des confusions plus importantes, comme assimile à tort l'utilisation de techniques narratives dans le
jeu de rôle au fait qu'il consisterait à raconter une histoire. Dans le pire des cas, cela peut créer des
réactions inverses à celles recherchées. Pour illustrer cela concrètement, on peut prendre l'exemple de
la « vue subjective » dans le jeu vidéo, le cinéma et le jeu de rôle.
Dans le jeu vidéo, la vue subjective nous met à la place du protagoniste et nous donne une sensation de
puissance. Selon les genres, cela peut se traduire par un sentiment de contrôle amélioré (mode de vue
où on peut tirer avec précision, voire les détails plus précisément, etc.), de vitesse (dans les jeux de
course, par contre parfois au détriment de la maniabilité, etc.).
Au cinéma, au contraire, elle sert principalement à renforcer l'ironie dramatique et à créer un sentiment
d'inquiétude, voire à renforcer l'inéluctabilité perçue de ce qui ne va pas tarder par se produire . Ceci
se fait généralement en mettant en scène soit une faiblesse du protagoniste (altération de la conscience,
folie, etc.), soit, beaucoup plus fréquemment, la force de l'antagoniste (méchant qui traque les
personnages principaux dans les films d'horreur — des slashers aux Dents de la mer —, mais aussi
chez Buster Keaton ou dans Pearl Harbor, etc.). Depuis quelques années, et sans doute parce que le
jeu vidéo est bien parti pour supplanter à son tour le cinéma comme média dominant, ou en tout cas
parce que son importance dans notre culture est indéniable, on retrouve de plus en plus la vue
subjective pour signifier que le héros est ou se croit dans un jeu vidéo. Ainsi, dans Elephant comme
dans l'adaptation cinématographique de Doom, on retrouve de telles scènes, inspirées toutes deux de ce
dernier, et les deux correspondent aussi à une conscience altérée. Pour l'anecdote, la première est une accusation un peu facile portée à l'encontre des jeux vidéo, la seconde un fan-service qui l'est encore
plus.
L'équivalent de la vue subjective dans le jeu de rôle , c'est-à-dire lorsque le meneur insiste dans ses
descriptions uniquement sur ce qui se passe dans le champ de vision du personnage et sur le fait que
celui-ci soit limité, sert surtout à créer un sentiment d'impuissance, d'enfermement et de manque
d'information. On retrouve la dynamique du cinéma. En fait, on l'importe directement. Toutefois, il
existe deux différences de taille avec ce dernier. Tout d'abord, il faut composer avec la capacité du
joueur à intervenir et à se comporter comme un chien dans un jeu de quilles, surtout s'il a le sentiment
que son personnage est en danger. Ensuite, selon les groupes et les situations, couper un joueur de son
personnage pour lui donner un temps le point de vue du monstre peut tout aussi bien diminuer son
engagement, voire provoquer son rejet. Ce qui renforçait la connexion avec les personnages dans le
cinéma la rompt ici très facilement. En effet, si ce dernier a besoin de nous les montrer pour créer une
certaine sympathie à leur égard, le jeu de rôle a traditionnellement plus besoin pour ce même objectif
de nous faire oublier qu'ils ne forment pas qu'un avec les joueurs.
Donc, bien qu'il s'agisse fondamentalement d'une seule et même technique, en l'espèce la vue
subjective, celle-ci aura des effets différents selon le média dans lequel elle est employée. Se contenter
d'une simple imitation en JdR risque de provoquer de très nombreuses dissonances ludo-narratives"
N. J'avais bien entendu que le terme "bleed" venait au départ du JDR même si ensuite il a surtout été étudié dans le cadre du GN. J'avais juste omis de le mentionner en l'absence de source. Je te remercie pour le lien.+ perso, je ne suis pas sûr que JdR sur table et GN soit des médias différents (c'est peut être couper les cheveux en 4, je te le précise juste au cas où). J'ai davantage l'impression que ce sont des formes différentes d'un même média. C'est purement un truc "instinctif", je ne sais pas où on fixe la limite. Je ne sais pas si c'est important non plus. Genre pas-du-tout![]()
+ par rapport à la fin, quand je parle du "traditionnellement", je parle du jeu classique où ne prend pas des masses de distance/recul vis à vis de son perso, qu'on ne joue pas spécialement en transparence, etc. Je précise ça pour que cela ne soit pas mal compris/digresse pas trop.
O. J'espère que toutes les nuances qu'on apporte sur ce fil permettent de lever ton appréhension. En gros, mon propos final c'est surtout : "dans le jeu de rôle moral, on peut trouver un intérêt à ce que la joueuse entre en bleed quand son personnage est soumis à des épreuves psychologiques, il y a une boucle de rétroaction avec l'immersion et le plaisir de jeu, et on peut chercher à brider ce bleed pour des raisons de sécurité ou à l'accentuer pour des raisons d'intensité. Le bleed est possible dans toutes les formes de jeu mais la question de la sécurité et de l'intensité est d'autant plus cruciale dans le jeu de rôle moral et nous pousse donc à porter un intérêt particulier au bleed dans cette forme de jeu." Si ce propos final reste pour toi sujet à caution, je t'invites à m'en faire part et on discute.
P. Sur la corrélation entre flow et jeu tactique, je pense avoir apporté également des nuances dans cet article. Ainsi, si on part du principe que le fait d'apprendre génère du flow, on peut raisonnablement se dire qu'on va entrer en flow avec des infos sur un univers ou des noeuds dramatiques originaux, deux choses qu'on relierait plutôt à du jeu esthétique ou du jeu moral. Je pense avoir par ailleurs, et ce dès le premier podcast sur les formes de jeu, insisté sur l'hybridation des formes de jeu entre elles et leur caractère très subjectif. Ainsi, associer par exemple le flow à une forme de jeu plutôt qu'une autre dépend à la fois de l'émission (quels types d'infos et d'interaction génèrent du flow chez la joueuse) et de la réception (comment la joueuse juge ces infos et ses interactions et quelles finalités elle leur donne).
Q. J'ai voulu présenter une réflexion en mouvement. On est là pour en discuter, et je suis tout disposé à faire évoluer mon avis en fonction des contributions de chacun et chacune.
R. Mais dans l'absolu, les personnes qui s'appuieraient sur moi pour avoir des retours solides et validés sur le game design en jeu de rôle sur table vont au devant d'une grande désillusion. Je suis un bidouilleur et un autodidacte, j'ai aucune prétention à faire de la vulgarisation ou de l'académisme. Cela fait bien déjà une dizaine de fois que je dis des choses à propos de termes consacrés (la GNS, le vide fertile, les postures d'acteur et d'auteur, etc...) qui divergent de la doxa. Cela ne me défausse aucunement, c'est juste pour informer sur ma démarche. Les concepts je les sors de leurs vitrines pour voir à quoi ça peut servir sur le terrain, et bien souvent je les casse parce que j'ai des gros doigts. On a eu toutes ces discussions sur la théorie rôliste et la rigueur scientifique, et sur ce sujet, moi je suis le professeur Foldingue. Je fais un peu de biblio, et même parfois il m'arrive de lire l'anglais, mais je mets en garde quiconque aurait le tort de me prendre au sérieux. Je le précise aussi parce que si la conclusion de cet échange doit être qu'il me faut lire une centaine d'articles de neurosciences, de narratologie, de GN ou de game design vidéoludique, c'est juste hors de ma portée et de mon intérêt, même si toute mon admiration va aux personnes qui font cet effort.
S. Tout comme on aurait aussi des arguments pour minimiser la présence d'engagements intenses en jeu de rôle sur table, qu'il s'agisse du flow ou du bleed, à cause des lenteurs et latences structurelles du média, à moins justement de travailler à supprimer ces lenteurs et latences (tout le travail des systèmes les plus narratifs)
Pour aller plus loin :
Olivier Caïra, En défense des rôlistes somnolents, conférence pour le Colloque Universitaire sur le jeu de rôle, 2017