Suite à un appel de Fabien Hildwein à playtesteurs pour son jeu en développement "Jardin des Esprits", j'ai répondu présent et reçu une copie de son jeu en l'état.
Fabien m'a dit vouloir tester l'aspect "transmission" de son jeu. Il ne m'a donc rien dit hors des règles. J'ai refusé à plusieurs personnes de me parler d'expériences qu'elles avaient eu en jouant à ce jeu... Bref, je suis content d'avoir pu déjà le tester pour pouvoir en parler

Avec un ami du pseudo de Saymu, nous avons joué à "La pluie sur les champs", une des préparations que m'a proposées Fabien - le jeu fonctionne avec des préparations dans le style de Dogs in the Vineyard : une communauté, des problèmes, des personnes et éléménts-clés. Sauf que là où Dogs parle de violence, Jardin des Esprits pousse au lien, à la compréhension et à l'apaisement pacifique. Mais trève de bavardage.
Dernier double avertissement :
1) Ne lisez pas ce qui suit si vous voulez jouer à Jardin des Esprits, je compte révéler ce que je dois pour parler correctement de l'expérience vécue à table. De même, je ne présenterai pas le jeu en long et en large mais supposerai que les personnes lisant ceci sont familières du jeu, pour plus d'efficacité.
2) La préparation aborde les thèmes du suicide et du deuil d'un proche, Trigger Warnings donc.
Pour cette partie, je jouais "tu" - le "MJ", Saymu jouait le maître des esprits Argent.
La fiction en "quelques mots" :
Myrtille, une jeune femme (quinze ans) a trouvé Argent alors que celui-ci cheminait par le pays et l'a appelé à l'aide. Ils ont logé dans une auberge sur le bord de la route avant d'arriver à son village. J'ai ensuite décrit qu'à mesure qu'ils approchaient du village, une pluie de plus en plus lourde tombait jusqu'à verse quand ils étaient en vue de celui-ci. Les champs pourrissent, des crapauds et grenouilles joignent leurs cris au tumulte de la pluie et au floc floc des pieds dans la boue du chemin.
Argent est d'abord allé chez Myrtille et Sauge, son jeune compagnon (17 ans). Là, il apprend que la pluie a commencé depuis deux semaines environ, depuis que Lichen a disparu. Argent demande si rien d'autre n'est arrivé qui aurait pu provoquer cela, ils répondent que non. Ils lui indiquent la maison de Houx et celle d'Hibiscus.
Argent va d'abord chez Houx. Elle lui ouvre en toussant. Demande à son mari, Saule, d'amener du thé. Saule arrive, rabougri, terne, empli d'une profonde tristesse. Il porte en fait déjà en secret le deuil de Lichen, même si sa femme refuse de croire leur fils mort. Elle dit qu'il est parti à la ville, Tour d'Ivoire, la preuve il a volé sa broche. C'est un jeune homme qui a sans doute eu peur de l'engagement que représente la vie en couple, c'est tout.
Argent va ensuite chez Hibiscus. Elle est très malade, sa mère veille sur elle. Argent l'ausculte, elle a l'estomac et le foie très durs, gorgés de sang. Elle n'en a plus pour très longtemps à ce rythme.
Argent va enfin jusqu'à la rivière tranformée en marais par la crue qui ne cesse de grandir. Bientôt elle menacera le village. Sur le pont, il est pris d'une tristesse infinie, qui s'apparente instinctivement à celle de Saule, le père de Lichen. Argent va dormir dans la maison vide de Lichen, y trouve la broche cachée sous un oreiller et y fait un rêve où il voit Lichen pleurer et se noyer dans ses larmes, retenu par un Crapaud roulé sur lui-même comme un boulet, sa langue servant de chaine.
Le lendemain, le maitre des esprits attrappe un crapaud et retourne chez Sauge et Myrtille. Il leur demande d'être ses assistants pour un premier rituel : il tue le crapaud d'une incision nette (un grondement sourd retentit dans tout le village à ce moment), puis receuille le sang du crapaud dans un bol. Il demande à Sauge et Myrtille de mettre de leur sang dans le bol aussi, puis invoque l'esprit qui abat le malheur sur le village. Crapaud se montre dans une apparition sanglante et dit à Argent que le village est pourri et que ce qui est pourri doit mourir pour laisser place à la vie. Puis le rituel s'achève, le crapaud est régénéré et s'enfuit. Myrtille et Sauge qui n'ont rien vu de l'apparition, sont stupéfiés. Cependant, Sauge révèle qu'il a entendu, peu avant le départ de Lichen, une discussion animée entre lui et Bambou. Sauge n'a pas laissé trainé l'oreille mais a vu Lichen partir en pleurant, la broche à la main.
Argent va voir Bambou, qui garde des enfants. Elle lui dit que Lichen lui a avoué ses sentiments, lui a offert une broche pour qu'ils s'enfuient à deux. Elle a refusé - elle s'est occupée de lui depuis sa tendre enfance et a pour lui un amour maternel, pas charnel. Il ne l'a pas compris et est parti, fâché.
Argent retourne sur le pont. Quand il va repartir, Saule est là, la tablette en main. Argent comprend. Il réalise ensuite plusieurs rituels : il fait avouer sa douleur à Houx en présence de Saule, puis organise une rencontre entre Hibiscus et Bambou où chacune dit ce qu'elle a sur le coeur. Hibiscus recrache finalement un crapaud énorme, qu'Argent parvient à capturer.
Il va alors sur le pont en compagnie de Myrtille et Sauge et s'adresse à l'esprit du Crapaud : il demande qu'en échange de la vie sauve du crapaud qu'il tient entre les mains, Crapaud rende le corps de Lichen au village pour que le village puisse l'enterrer. Crapaud accepte. Dans la foulée, Argent demande à Crapaud de laisser sa chance au village de renaitre de ses cendres. Crapaud hésite, puis accepte.
Epilogue sur l'enterrement de Lichen. J'isole les cartes de Crapaud, Lichen, Houx, Hibiscus et Bambou (+ une carte retournée pour Saule). Je les retourne face cachée l'une après l'autre pour signifier la paix retrouvée de chaque personnage. Je finis par celle de Lichen. Fin.
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Au niveau du timing :
Nous avons commencé la partie (donc arrêté de manger / parler d'autres choses pour nous plonger dans le jeu) à 13h23.
J'ai fait une présentation du monde et des grands principes de celui-ci jusque 13h40 (17 minutes).
Nous avons créé le personnage de Saymu jusque 13h49 (9 minutes).
J'ai expliqué la règle des cartes à pointer/retourner et la résolution de conflit jusque 13h53 (4 minutes).
La partie s'est terminée à 16h26.
Donc en tout nous avons joué 3 heures, dont 2h33 une fois plongés dans la fiction. Mathieu Minne, si tu nous lis, merci pour le truc de prendre le temps

Retours généraux
Globalement j'étais content de la partie, Saymu aussi. Comme je n'ai pas consigné son retour par écrit (à part quelques questions qui viendront plus loin dans ce poste), je ne livre que le mien. Je lui donnerai le lien web du poste pour qu'il vienne compléter s'il en sent le besoin.
Univers et proposition de départ
J'ai beaucoup aimé la proposition de départ : l'idée d'un Dogs où on résout les problèmes pacifiquement par la compréhension des problèmes auxquels on fait face est très séduisante pour moi. L'univers est simple mais beau, quelques points permettent de le typer facilement (les prénoms en éléments du monde, le rôle et statut du maitre des esprits).
Les quatre préparations me plaisent. Même si j'ai davantage d'images et de pistes sur la manière d'en faire jouer certaines, aucune ne me parait injouable. Chacune propose de beaux enjeux, forts et humains, de beaux personnages.
J'ai bien aimé mené cette préparation-ci. Ce n'est pas facile pour moi d'aborder le thème du deuil en jeu de rôle, de trouver le bon ton pour en parler sans trop de pathos mais en l'incarnant. Je pense y être parvenu.
Toutes les scènes comptaient, apportaient quelque chose. Ca c'est précieux.
La mécanique obligeant à avoir un assistant avec soi m'a paru un peu artificielle par moment, mais a je pense toujours enrichi la partie. Par exemple, lorsqu'Argent a voulu faire entamer le deuil à Hibiscus, le maitre des esprits voulait que ça se fasse seul. Je lui ai rappelé que pour que ce soit efficace, il devait y avoir un membre de la communauté. Argent a demandé à la mère d'Hibiscus d'aller chercher Bambou de tout urgence, ce qui a mené à une scène très forte qui n'aurait pas eu lieu sans cette contrainte. C'est donc très fertile.
Je me pose simplement la question de la rejouabilité du jeu. Il me semble difficile de le faire jouer en campagne, parce que ça grande simplicité se transformerait à mon avis en pauvreté sur le long terme. A voir mais j'ai un peu peur que ça fasse "feuilleton", un peu comme Mushi-shi (une série que j'aime beaucoup mais dont je n'ai regardé que la moitié des épisodes pour ça - je trouvais que ça finissait par se répéter énormément dans le schéma de narration arrivée - identification du problème - lutte - compréhension - résolution).
J'aime pourtant énormément l'idée de la règle sur l'apprenti et le renversement final des rôles qu'elle contient. C'est très séduisant sur papier. Je pense que je me lasserais avant d'y arriver en vrai. Mais ce n'est qu'une crainte peut-être non fondée.
Le système de résolution
Dans cette partie, le système de résolution a mené à quelque chose de proche de ce que j'ai connu sur des parties de Sphynx :
- Une première phase (la première moitié d'une partie-type de Sphynx, les deux premiers tiers ici) pour poser la situation, la découvrir, la comprendre.
- Une deuxième phase (deuxième moitié de Sphynx, dernier tiers ici) où on enchaine les révélations, les phases "actives" et la "résolution".
J'aimais ce rythme sur Sphynx, je l'aime bien ici aussi, même s'il me donne un goût de déjà-vu.
Dans cette partie, le maitre des esprits n'a fait aucun échec : à partir du moment où il avait "rencontré" les différentes cartes (que je les lui avais pointées du doigt), il a su les retourner à chaque fois. Il n'y avait donc pas réellement de résistance autre que la nécessité d'explorer avant de résoudre, ce qui me parait tout à fait cohérent avec l'intention de base.
J'aime aussi beaucoup la simplicité et le côté visuel de la mise en place :
- pas de hasard (ce qui dans un jeu semblable est bienvenu je trouve) ;
- une signification de chaque élément pris en soi (que tel élément soit un 2 ou un 10, un valet ou une reine a une importance quant à la place de cet élément dans la fiction)
- ET une signification de chaque élément dans le système des cartes (la couleur donne un sens à la carte représentée et la position de la carte sur table a un sens aussi). A ce sujet, il y a eu un moment très chouette où le maitre des esprits ne se souvenait plus de l'emplacement de la carte de Lichen. Il a réfléchi un instant, s'est dit "Houx est sa mère, Hibiscus sa femme, Bambou son amante..." et a réalisé que les cartes formaient un triangle autour de la carte qu'il cherchait. Ca a été un beau moment de synesthésie, je trouve.
J'ai très envie de chercher un jeu de cartes thématisé qui colle à l'ambiance du jeu, pour que le dos des cartes et la face quand on révèle participe de l'ambiance générale. Là, avec un jeu très classique, c'était un peu pauvre malheureusement.
Finalement, j'ai plusieurs questions
1) Je n'ai vu nulle part qu'il était interdit au maitre des esprits de prendre des notes pendant la partie. Est-ce qu'il peut noter, par exemple, l'emplacement des différentes cartes ? (Je me suis dit instinctivement que ce n'était pas possible parce que l'aspect "mini-jeu mémoire" était faussé mais je n'ai rien trouvé dans l'autre sens au sein des règles) ;
2) Pour une épreuve, quand on demande de révéler des cartes, est-ce qu'il faut demander la couleur ou le thème lié ? Plutôt "retourne-moi un coeur" ou "retourne-moi une carte liée à la passion amoureuse" ? Je trouve que ça a davantage de sens de demander de retourner une carte liée à un thème (d'autant que dans la plupart des préparations, il y a une clé de répartition du sens selon les couleurs de cartes) mais il me semble en lisant les règles que la demande est "retourne un coeur" ?
3) Lors d'une épreuve, est-ce qu'on retourne la carte désignée ? Si j'ai pointé du doigt une carte en disant "c'est Hibiscus", le Maitre des esprits ne sait rien sur la couleur ou la valeur de la carte. Si, lors d'une épreuve, il retourne la carte d'Hibiscus, il sait que c'est la dame de coeur. Ca lui donne beaucoup d'informations complémentaires. Est-ce que c'est ok de faire comme ça ? Ou est-ce que le maitre des esprits désigne la carte et je dis "c'est ça" ou "ce n'est pas ça" ?
3 bis) Si un joueur se trompe sur une carte d'une épreuve, est-ce qu'on la retourne ou est-ce que je lui dis simplement "c'est faux" ? La retourner, à nouveau, donne beaucoup d'informations sur la carte, surtout si le maitre des esprits a compris la clé de répartition du sens selon les couleurs de cartes.
4) Des PnJ sur qui on conduit un rituel peuvent-ils participer et, donc, être l'assistant.e dont a besoin le maitre des esprits pour que le rituel se fasse ? En gros, si quelqu'un est malade et que le maitre des esprits veut le soigner via un rituel, est-ce que quelqu'un en plus du maitre des esprits et du malade doit être présent pour que le rituel ait un effet ?
5) Toujours par rapport aux assistants à un rituel, est-ce qu'il faut que la personne qui assiste "fasse sens" ? Concrètement, pendant cette séance, Myrtille et Sauge (deux PnJ créés à la vollée) ont servi d'assistants pour beaucoup de rituels. Est-ce que j'aurais dû exiger que les gens assistant le maitre des esprits soient "impliqués" dans l'enjeu du rituel ? Par exemple, pour tirer le corps de Lichen de l'eau, faut-il que ses parents, son ex-femme ou Bambou soit présent.e ?
6) Lié à ça, est-ce que je peux exiger la présence d'un certain nombre d'assistants pour que le rituel fonctionne ?
7) J'ai l'impression, pour rejoindre le point sur le système de résolution exprimé plus tôt, que la seule vraie résistance opposée au maitre des esprits est la connaissance des cartes. Une fois que le maitre des esprits a connaissance de ce à quoi correspond chaque carte et qu'il a convaincu quelques personnes du village de l'aider, il lui est très facile de réaliser ce qu'il veut. Est-ce que c'est normal ? Est-ce que je devrais faire résister le monde davanatage ?
Plus largement, le timing évoqué plus haut te parait-il correct ?
Voilà pour ce premier long retour. Fabien, n'hésite évidemment pas à me poser toutes les questions que ce rapport pourrait faire naitre en toi, je tâcherai d'y répondre au mieux.
Et merci pour ce beau jeu atypique et déjà très abouti !