Je réponds à la critique de Sombre 2 par Nébal

Illustration Greg Guilhaumond
Je le fais assez rarement, mais quelque chose me pousse au dialogue. Sans doute la longueur de son texte, son souci du détail et le fait qu'il y met très en avant sa sensibilité personnelle. Ou peut-être tout simplement parce qu'il soulève des points intéressants. Bref, j'ai envie d'en causer.
On peut lire ladite critique sur
son blog. Il est d'ailleurs vivement conseillé de le faire avant de parcourir ce qui suit.
Nébal a écrit :« Ubiquité » est présenté comme un « survival compétitif », citant Battle Royale et Cube comme ses inspirations essentielles (encore que le terme « inspirations » puisse être contestable : l’auteur nous dit qu’il n’avait pas de lui-même fait le lien avec Cube, avant les premières « playtests »…).
Je pense que
Cube, un film que je kiffe bien comme il faut, est une inspi d'
Ubiquité, mais inconsciente. Si je ne l'ai pas réalisé à l'écriture, c'est parce que j'étais parti sur des octogones plutôt que des carrés (il reste d'ailleurs une trace de cette idée dans le scénar). J'ai simplifié quand j'ai compris que c'était injouable car trop complexe. Mais du coup, avec les octogones toujours en tête, je n'ai pas percuté sur
Cube avant mes premiers playtests. C'est con, hein ?
Tu noteras au passage que je parle de « Références » et non d'« Inspirations » en ouverture de mes scénarios, l'objectif étant surtout de donner au meneur potentiel une liste de films/livres qu'il puisse regarder/lire en préparation de sa partie. Le côté cuisine créative, je le réserve plus volontiers aux premiers paragraphes de la section Feedback, en fin de scénario.
« Ubiquité » n’est pas sans avoir un côté : « Oh, oui, MJ, fouette-moi, fais-moi mal ! »
Il me semble qu'une attitude un minimum volontariste est la condition sine qua non de tout jeu de rôle. Si le joueur n'a pas envie de jouer un palouf, un runner, un vampire, une tortue ninja ou une souris, et ben ça ne marche juste pas. La particularité de
Sombre est qu'il demande qu'on soit volontaire pour un trip particulier : jouer un PJ-victime. Je comprends que ça désarçonne parce que ce n'est pas si courant, mais sur le fond, ce n'est en rien différent de ce que demande n'importe quel JdR : s'impliquer dans son perso.
Peut-être d’autant plus du fait de cet emploi de la première personne, d’ailleurs.
Ah ? Je veux bien que tu m'éclaires sur ton ressenti. En quoi est-ce que la première personne participe de ton impression qu'il faut être un peu maso pour jouer
Ubiquité ?
Je reste un peu perplexe sur l’idée d’une partie d’une heure maximum, de manière générale
À l'usage, c'est un format très intéressant. Court, mais pas trop. Il incite au dynamisme narratif (ce que j'apprécie, jouer dans une certaine urgence vivifie mon expérience de jeu) tout en laissant le temps pour de vraies modulations de rythme, qui donnent du relief à la partie. Je l'apprécie vraiment, même si aujourd'hui, je ne le pratique plus en
Classic. En
Zéro par contre, je m'y adonne très régulièrement.
Jouer n’importe où, sans véritablement de matériel, et sur un format très court, même uniquement en un quart d’heure, si ça se trouve…
Mais oui, carrément ! Quinze minutes (de jeu), c'est le format d'
Overlord.
Et là je dois dire que j’ai vraiment du mal à en voir l’intérêt – c’est tellement aux antipodes de mes conceptions du jeu de rôle (oui, au pluriel, même si je suis très « traditionnel » globalement, j’apprécie quelques alternatives) que ça me dépasse complètement…
Ça fait ça à plein de gens. Mais attends de lire
Sombre 3, tu vas mieux comprendre où je veux en venir. Ne juge pas la variante sur son scénario de rodage (
Overlord), ce serait un peu court (pun intended). Tu verras,
Deep space gore, c'est pas le même braquet.
En fait, peut-être ici faudrait-il forcer le trait, en définitive, en renforçant la parenté avec un jeu de plateau ?
Fait.
Camlann, dans
Sombre 6, est livré avec un mini plateau de jeu, qui participe de son accessibilité aux enfants de 7 ans.
« Overlord » /.../ après une très, très brève mise en contexte, les PJ se battent, et c’est tout. Ça m’a fait l’effet d’un très triste gâchis. En l’état, je ne peux pas qualifier « Overlord » de scénario : c’est une baston ; et une baston n’est pas un scénario, pour mon moi rigide.
C'est bourrin, hein ? Mon avis :
+
Overlord est archi efficace. C'est le scénario que je mène le plus en convention. Plus de la moitié de mes démos, c'est te dire. Je dois approcher les 500 parties. Il fonctionne avec presque tout le monde et produit de bonnes parties dans 99 % des cas. Après DSG, je l'avais un peu laissé de côté. Je l'ai redécouvert avec bonheur par la suite.
+ Sûr et certain que c'est un scénario. Je développe plus bas.
En fait, de manière générale, la baston tend à me faire chier, en jeu de rôle
Je pense que tu passes à côté de quelque chose. Pas que je veuille te convaincre de quoi que ce soit, hein. Vu que tu exprimes un ressenti, tu ne peux pas te tromper : c'est un point de vue perso. Mais le mien est tout autre.
À mon avis que j'ai, la baston est un truc fun parmi la tonne de trucs fun qu'on peut faire en jeu de rôle. Et c'est un truc fun qui a l'avantage d'être facile à mettre en place. Y'en a tellement d'autres qui sont hyper difficiles à amener en jeu que ce serait bien dommage de s'en priver.
J’aime les histoires.
Mon vécu perso est qu'il ne faut pas se donner beaucoup de mal pour qu'une baston raconte une (bonne) histoire. Envoyer des mandales et en recevoir produit de la fiction, qui peut être de fort bonne qualité. Mieux encore, elle produit de l'émotion. Gros enjeux ludiques et dramatiques, rebondissements, dynamisme, soutien massif des règles, y'a tout pour faire monter la mayonnaise.
Je vois souvent des trucs excellents à ma table lorsque je mène
Overlord, alors même que les persos sont fins comme des feuilles de papier à cigarette. Ça m'a vachement fait cogiter.
[univers Extinction]
Je suis plus sceptique concernant le rôle de Nyarlathotep, qui, comme souvent, me paraît mal s’intégrer dans ce schéma
C'est une concession ludique, dont je m'explique p. 58. Si j'ai ressenti le besoin de justifier sa présence, et même son omniprésence, c'est que je suis bien conscient qu'il s'agit d'un parachutage rôliste. Il est raccord avec l'apocalypse, pas trop avec l'horreur marine. Mais de mon point de vue de game designer, la jouabilité prime toute considération esthétique ou thématique. Au diable l'élégance, c'est l'efficacité qui compte.
Mais qu’en faire ? À s’en tenir à ces considérations générales, pas grand-chose…
Ce texte est le cadre général de ce qui devait être un supplément de plusieurs centaines de pages. Je l'ai publié dans le zine pour des raisons purement éditoriales (une affaire un peu beaucoup pénible).
Ce que tu as lu est l'équivalent des textes introductifs de
Delta Green signés Tynes : un cadre global dans lequel viennent ensuite s'insérer d'autres textes, plus directement jouables. Dans DG, il s'agit de différentes organisations. Dans XT, j'ai opté pour sept settings.
ce cadre de jeu trop flou
Il n'est pas flou, il est général. Plus de précisions nous auraient bloquées dans le développement des settings. Par « nous », j'entends les auteurs et les meneurs d'XT, invités à y créer leur propre setting à leur mesure. Mon cadre devait leur laisser autant d'espace créatif que possible : poser des jalons clairs pour donner de la personnalité à l'univers sans les gêner. Une structure, quoi.
Pour le coup, le goût de trop peu demeure, éventuellement : chacun de ces « settings » ne tient après tout qu’en une seule colonne…
Ce sont des résumés. Chacun d'entre eux devait occuper plusieurs pages, des dizaines pour les plus costauds.
« Peur » /.../ pas bien original ceci dit, et d’une utilité directe en jeu éventuellement douteuse – peut-être parce que, prépondérance du jeu d’aventure ou pas, l’acquéreur de Sombre a sans doute dès le départ sa petite idée de ce qu’est « la peur comme au cinéma ».
Certains oui, d'autres pas du tout.
Pour un hardcore rôliste, dix, vingt, trente, cent casual gamers, dont la culture horrifique commence et s'arrête à
Shining. J'en croise plein en convention, dans les salons et les festivals surtout (le public y est souvent plus mélangé que dans les convs). Ils ne sont pas plus branchés que ça par le cinoche d'horreur, mais
Sombre les accroche par sa simplicité et son efficacité.
Cela dit, ce n'est pas pour eux que j'ai écrit cet article, en tout cas pas plus pour eux que pour n'importe qui d'autre. Le point n'est pas d'initier les gens au cinéma ou au jeu de rôle d'horreur. Il y aurait tant à dire, ce n'est pas dans un petit article que j'y parviendrais. L'objectif est de préciser la manière dont, *moi*, je les comprends. En particulier, j'ai besoin de définir certains termes dont je vais ensuite, tu le constateras en poursuivant la lecture de la revue, faire un usage abondant : « horreur », « fantastique », « peur », « aventure », etc.
Cet article n'est pas du tout une aide de jeu. Il ne prétend à aucune utilité directe autour d'une table, raison pour laquelle je l'ai voulu aussi court que possible. Il s'agit de mon lexique de base, fondation essentielle de tous mes futurs articles. C'est pour cette raison que je l'ai publié en premier : il n'y avait pas d'article dans S1 et le premier qu'on lit dans S2, c'est « Peur ». Pas du tout un hasard.
Quand tu construis une maison, tu commences par couler une dalle de béton. Ça ne paye pas mine, ça ne te sert à rien directement (ça ne te met pas un toit sur la tête, je veux dire), mais si tu ne le fais pas, ta baraque se casse la gueule. « Peur », c'est ma dalle de béton, mon socle théorique.
Je ne suis pas un théoricien du jeu de rôle, pas même du jeu de rôle d'horreur, mais j'en écris un. Or le game design tel que je le conçois ne saurait faire l'économie d'un cadre théorique minimum. Parce que
Sombre, tout générique qu'il soit, est une production d'auteur, c'est-à-dire qu'il déploie une vision personnelle du genre horrifique. Mon avis est que pour être suffisamment robuste, j'entends par là efficace à ma table et à celle d'autres meneurs, cette vision ne peut pas s'appuyer sur du rien. Il lui faut un soubassement théorique, aussi modeste soit-il (et le mien est minimal, six pages dans S2).
Notons cependant comment l’épouvante, ou le gothique, sont remisés de côté – effectivement, à vue de nez, ils ne sont pas le propos de Sombre… et ce malgré la présence de ce brave Igor dans l’article suivant.
J'ai trois scénars d'horreur gothique sur le feu, dont deux en cours de finalisation. Je vais en publier un tout bientôt, dans
Sombre 7. L'horreur gothique est l'un de mes sous-genres préférés. Chuis un die hard fan de la Hammer et de
Chill première édition.
De manière générale, tous les sous-genres horrifiques sont le propos de
Sombre. Il s'agit d'un jeu d'horreur générique, qualité que je m'emploie à démontrer numéro après numéro. Faut juste me laisser le temps d'aller au bout de ma démarche. À raison d'une sortie par an, ça avance lentement. Mais ça avance. Y'a maintenant pas mal de diversité dans le matos officiel.
Je ne garantis, pas du coup, que je me servirai un jour de Sombre, n° 2
Hé mais tu l'as déjà fait ! Pour preuve :
un rapport assez complexe, en fait… et qui, dans le cadre de ce deuxième numéro, m’a amené à questionner mes envies, et mes limites.
/.../
(je m’en doutais, mais l’Adrénaline ne sert que pour les jets de Corps, pas ceux d’Esprit)
/.../
mettre en lumière des dimensions évidentes de la mécanique, mais qui m’avaient pourtant échappé (plus le niveau de Corps diminue, plus les dégâts variables diminuent – ça tombe sous le sens, mais je n’y avais pas fait gaffe, con de moi…)
Comme je l'écris dans son édito, S2 est une manière de
Master's companion, dont la fonction essentielle est d'aider le meneur à passer de la lecture au jeu, de la revue à la table. C'est pour cela que je recommande toujours S1 + S2 pour débuter, plutôt que S1 tout seul. Car dans S2, on trouve :
+ Des propositions ludiques diverses et variées pour inciter les gens à se demander ce qu'ils veulent faire avec
Sombre. Parce que c'est la question fondamentale que posent tous les systèmes génériques : vu qu'on peut tout faire (à
Sombre, dans le cadre précis du cinéma d'horreur, mon jeu est générique horrifique), quoi qu'on fait exactement ? Tous les jeux de rôle posent bien sûr cette question à un degré ou un autre, mais la généricité lui donne une importance particulière.
+ Une variante et des scénarios (beaucoup) plus courts pour essayer
Sombre sans avoir besoin de recruter pour une séance longue.
+ Des articles pour bien intégrer les concepts fondamentaux du jeu et réviser le système avant de l'utiliser. Chaque mot des règles de
Sombre compte, donc ça vaut la peine de s'assurer que tout a été compris jusque dans les moindres détails. C'est important dans la perspective de la maîtrise des scénarios officiels. Playtest intensif oblige, ils sont finement équilibrés pour les règles officielles.