Ça faisait longtemps que je ne m'étais plus fendu d'un petit bilan sur mon modèle économique. Pour mémoire, j'avais déjà fait trois articles sur mon modèle économique, les compétences techniques que je mobilise pour publier un jeu et un bilan des ventes de Monostatos au bout de 14 mois. Ce sujet n'abordera donc pas des questions déjà traitées précédemment (par exemple la rémunération).
Je vais vous faire ici un retour de mon expérience de ventes sur le long terme et de ce à quoi vous pouvez vous attendre. D'ailleurs, pour faire preuve de rigueur, ne confondons pas long terme (qui concerne le temps) et longue traîne (qui concerne le volume de vente et qui désigne en marketing une stratégie consistant la stratégie "vendre une grande diversité de produits, chacun en petite quantité" [référence], ce qui n'est possible que si on dispose de stocks peu coûteux, c'est donc un autre atout de la vente par correspondance).
Je vais le faire selon deux critères: la vente des titres dans le temps et la vente par canal.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, voici le lien pour télécharger mes ventes en données brutes au 17 juillet 2017. J'en profite pour appeler à nouveau tou•te•s les auteurs•autrices (indépendant•e•s ou pas) à donner leurs chiffres pour réfléchir à nos modèles économiques et faire avancer la réflexion commune sur ce sujet, qui est un enjeu central de la survie et du développement de notre médium, au moins autant que les enjeux créatifs et artistiques !
Vente des titres dans le temps
Voici les ventes cumulées de mes jeux par titre, depuis la sortie de Monostatos en septembre 2012:

Ces chiffres exclus tous les exemplaires donnés, en particulier les service-presse.
La dentelure en février 2017 s'explique par l'intérêt soudain de Philibert et de Ludikbazar à ce moment-là pour mes jeux.
En revanche, je ne m'explique pas le plateau de mai 2013 à novembre 2013, suivi d'une reprise qui ne s'est plus arrêtée. Que s'est-il passé ?
Pour synthétiser à mort les ventes:
- 250 exemplaires de Monostatos vendus en 4 ans et 10 mois, soit un exemplaire vendu tous les 7 jours en moyenne
- 73 exemplaires de La Saveur du Ciel vendus en 3 ans et 4 mois, soit un exemplaire vendu tous les 16,7 jours en moyenne
- 156 exemplaires de Sphynx vendus en 1 an et 10 mois, soit un exemplaire vendu tous les 4 jours en moyenne
- Même un "vieux" jeu comme Monostatos continue de se vendre, avec un rythme de croisière qui ne ralentit pas, contrairement à ce à quoi je m'attendais. Je dois dire que c'est un vrai enjeu pour moi. Un des arguments qui m'a convaincu d'avoir recours à l'impression à la demande (et donc à l'indépendance) est le fait de pouvoir continuer à exploiter son jeu sur le long terme (ce qui permet de compenser le fait d'être moins légitime et de ne pas avoir un éditeur pour communiquer pour soi). Il semble que ce soit une bonne solution dans ce cas.
- En revanche, j'ai souvent soutenu que "les nouveaux jeux vendent les vieux" c'est-à-dire que la publication de jeux permet de relancer et de faire de la publicité pour les nouveaux. Je n'en suis pas si sûr en voyant ces chiffres. C'est peut-être vrai pour Monostatos, qui a repris du poil de la bête à partir du moment à peu près au moment où La Saveur du Ciel sort, mais ce n'est pas évident.
- Je mets le faible nombre de ventes de La Saveur du Ciel sur le compte de la proposition ludique particulière et que je n'ai pas fait de convention spécifiquement pour le promouvoir. Ça fait quand même plaisir de voir qu'au fond, le jeu a eu plus de succès que ce à quoi je m'attendais.
- Sphynx a un rythme de vente similaire à Monostatos, avec un départ plus fort. En tenant compte du fait que je n'ai fait qu'une seule convention pour Sphynx contre trois pour Monostatos, j'ai vendu 168 exemplaires de Monostatos au bout de 656 jours contre 156 exemplaires de Sphynx sur le même laps de temps.
A l'heure actuelle, je distingue quatre canaux:
- Lulu
- la vente directe (c'est-à-dire de moi à des ami•e•s qui viennent me voir
- les conventions
- les boutiques, soit:
- Charybde (mais le rayon jdr a fermé)
- Philibert
- Ludikbazar (mais ils n'ont pas renouvelé de commande)
- Trollune (mais ils n'ont pas renouvelé de commande)
Voici les ventes cumulées par canal:

On revoit bien la dentelure due aux boutiques en février 2016. Merci à eux de m'avoir fait de plus en plus confiance, j'interprète aussi ça comme une marque de réussite.
Le rôle de Lulu: je me sens à nouveau conforté dans mon choix de l'impression à la demande et de la vente via Lulu. Les conventions, la vente directe et les boutiques demandent toutes un effort personnel, mais Lulu reste une assurance de continuer à vendre quoi qu'il arrive. C'est d'autant plus important pour moi que je n'ai pas le temps, l'espace (les cartons ça prend de la place) et l'énergie de faire ma propre vente par correspondance.
Pour explorer un peu plus ce rôle, voici le détail des ventes de Lulu en cumulé par titre:

Gardez bien à l'esprit que l'ordonnée est maintenant de 250 exemplaires et plus de 500 comme avant.
Lulu participe profondément de la dynamique de vente, non seulement en nombre d'exemplaires, et aussi en terme de rythme.
Je tire donc trois conclusions importantes de ce bilan:
- Un jdr continue de se vendre bien plus longtemps que ce à quoi je m'attendais initialement.
- A partir de 2015 je sens une nette accélération et un gain de légitimité pour l'indépendance.
- Lulu est une excellente solution pour moi.
- Je parlais de "long terme" ci-dessus, mais c'est sans doute encore faux, même pour Monostatos. Les ventes de Monostatos ne peuvent pas garder ce même rythme, le marché du jdr est fini, donc il faudra bien arriver à la saturation à un moment. Je pense que c'est là qu'on pourra vraiment parler de long terme (dans deux ans ?) et qu'on pourra voir ce deviennent les ventes. Sphynx arrivera-t-il à soutenir son rythme de ventes ?
- C'est aussi un bilan que je dresse avant de me lancer dans les PDF et dans la traduction de mes jeux. On verra quels rôles ces deux facteurs vont jouer dans les prochaines années.
- Est-il possible d'entretenir la dynamique avec les boutiques ? Je pense que je ferai le tour des boutiques de jdr parisiennes une fois que je serai installé dans l'espoir de trouver des partenaires intéressés.
- Je sors d'une période de creux créatif et je ne compte pas faire de publication ou même de communication autour de mes jeux avant quelques années. Est-ce que cette prise de distance va jouer sur les ventes ? Cela va-t-il nuire à mes nouveaux jeux quand je m'y remettrai.
- Il y a-t-il un lien entre mes interventions publiques (le podcast de La Cellule notamment, mais d'autres émissions ou articles) et les ventes ? il faudrait que je torture à nouveau mes données pour explorer cette question.
J'ai fait forcément des choix pour présenter mes chiffres. N'hésitez pas à me demander des précisions.
EDIT: J'ai commis une erreur d'analyse: le rythme de vente de Sphynx est bien moindre que ce qu'annoncé (voir le paragraphe dédié), toutes mes excuses.